Interview du -

Georges Le Fur, voyageur perpétuel, créateur visionnaire, traducteur passionné

Georges Le Fur est né à Dakar, en 1955. Il suit son père militaire dans les colonies et voyage à travers le continent africain jusqu’à l’âge de 9 ans. Il rejoint alors le Sud Finistère où, dépaysé par l’itinérance familiale, suit un parcours scolaire chaotique. « Je pense que j’avais des capacités, mais, à ce moment-là, je n’ai pas trouvé d’accroche avec la scolarité ».
Il grandit en Bretagne et finit par s’engager dans l’armée à 17 ans, pour 5 années, sans trouver finalement une voie éclairante à l’issue de son contrat.

L'envie de rencontres

Mais dès lors, Georges est animé par le besoin de s’épanouir, de voir des horizons différents, d’aller à la rencontre de ses semblables, de poursuivre aussi un chemin de voyage plus personnel et découvrir le monde. Georges part sur la route, en stop. À la faveur d’une rencontre fortuite, il va rejoindre l’Amérique du Sud où il passera environ quatre ans, avant de s’amarrer aux Antilles pour préparer son retour auprès de sa famille.
En bateau stop, c’est sur un frêle esquif de sept mètres qu’il traverse en 1985 l’Atlantique, en 54 jours et revient en Bretagne avec un équipage de retour de Transat. Traversée épique !

Arrivé à bon port, il trouve du travail dans l’agroalimentaire. Pas pour très longtemps…
Avec l’argent gagné, il se qualifie comme scaphandrier et part travailler sur les plateformes pétrolières. Il se met ainsi définitivement à l’abri du risque financier et surtout, le métier lui laisse du temps pour exercer son art. Une fois de retour à terre, son temps libre est passé à peindre et à dessiner.  
Car Georges dessine depuis l’école primaire. Dès l’âge de 6 ans, il peint, esquisse partout, tout le temps, notamment avec son autre ami Jean-Michel qui était aussi son voisin au Congo-Brazzaville et dont le fils, Jean-Marie s’est imposé sur le paysage international par ses sculptures d’univers fantastiques, mondialement reconnues.

En Bretagne, dans ces années 80, les aquarelles et peintures à l’huile de Georges se vendent très bien, il cultive son art et peut vivre de ses créations. À la suite d’un conseil amical, il s’essaiera à l’acrylique, et curieusement, en voulant creuser cette technique, il perdra son chemin dans la peinture.

Le tournant vers la gravure 

C’est dans ce contexte, que Georges va rencontrer en 1985 Claude Huart, Directeur de l’école des Beaux-Arts de Lorient, qui lui confie : « je trouve que tes dessins iraient bien dans la gravure », et de lui tendre un bout de bois pour l’inciter à réaliser l’exercice. Georges réalise ainsi un de ses tout premiers travaux de gravure : il inscrit dans le bois, à la gouge, la représentation de sa grand-mère dans sa vie quotidienne, un balai à la main.  (NDLR Georges a précieusement conservé cette œuvre qu’il va chercher et qu’il nous montre dans un attachement filial…). Claude Huard qui pratique aussi la gravure est immédiatement conquis par l’essai et la facilité avec laquelle Georges sculpte avec précision les détails, transcende les scènes, les paysages et leurs symboliques. Dès lors, l’événement marquera un véritable changement artistique que Georges ne cessera de faire fructifier, si bien qu’en 2007, la gravure va devenir sa technique exclusive. Il ne reprendra plus le pinceau, ne touchera plus une toile.

Georges est à présent de plus en plus connu pour son expression artistique. On lui propose alors des participations à plusieurs événements marquants, en Bretagne et ailleurs.
À l’expo de la Rotonde à Lanester, en 2007, il présente ses premières gravures monochromes qui relatent l’exode, la migration et des histoires d’hommes rencontrés au cours de ses voyages.
En 2008, il expose au Sénat, au Pavillon Davioud. Toujours dans sa thématique d’exode, Georges s’engage plus intensément dans un voyage intérieur de réflexions et de recherches solitaires.
En 2011, la galerie du Faouédic à Lorient lui consacre une très belle exposition qui fera l’unanimité auprès d’un nombreux public.
Lors de cette manifestation, Georges est plébiscité notamment par Claude Huart qui a relancé la pratique de la gravure sur bois, la xylographie, tombée dans l'oubli depuis les années 1950.
En 2015 à Quimper, nombreux sont ceux qui se rendent au musée breton, pour aller à la rencontre de l’artiste et de ses œuvres. Une fois encore, le public est au rendez-vous. La ferveur de ce public pour son art lui vaut consécration. Dans cette exposition collective, il rencontrera un autre grand graveur qui deviendra son ami, Serge Marzin.
Au port de Keroman de Lorient, toujours en 2015, c’est par une série de gravures à bois perdu et en couleurs qu’il illustre en bande dessinée sa thématique de l’exode.

Lorsqu’on lui parle de ses thèmes d’inspirations, passés et futurs, Georges répond : « Je suis un autodidacte, j’ai tout appris sur le terrain, sans aucune formation. Je n’ai pas choisi ma thématique, elle est venue toute seule, petit à petit, pour finir par s’installer et occuper tout mon espace de pensées. Les thématiques, ça ne se décide pas, elles s’imposent à vous »

Et lorsqu’on lui pose la question de définir quelle est la différence entre un artiste et un artisan, il réplique : « l’Artisan travaille pour exercer un métier. L’Artiste s’adonne à sa passion et il écrit des histoires. Cependant, il arrive parfois que l’artisan soit aussi un grand artiste »

L’artiste témoin, le xylographe interprète

Georges fixe son regard sur la vie, en particulier sur la vie des peuples, témoignant d’un parcours d’humaniste passionné, sans jamais porter de jugements. Il est attentif à relever les contextes, les rapports et les dépendances des êtres pour mieux comprendre et donner un sens profond aux situations. Cette volonté marquée le conduit à exercer son art et à partager ses œuvres dans un langage approprié à toute condition, à toute relation, pour peu que l’on scrute ses créations avec un regard d’humilité.
Après 40 ans d’expositions, Georges se bat toujours avec les matières et les outils pour exprimer sa force d’homme de terrain. Il nous parle des sujets qui ont toujours animé ses réflexions : l’immigration, l’exode, la recherche de lumières. Il a modelé son identité propre en créant ses symboles, un véritable alphabet graphique qu’il imprime dans toutes ses gravures et qui représente son histoire, ses ressentis, ses richesses et ses craintes : la force, la maternité, l’animal, le chiffre 7, et bien d’autres. Sa relation avec son récit artistique reste intacte, authentique et pure, insensible au temps.
Georges mène aujourd’hui une réflexion sur l’exercice de son art dans le futur proche. La gravure ? L’écriture ? Il est dans une nouvelle phase de respiration qu’il s’accorde, en prenant du recul et du discernement sur le monde d’aujourd’hui.

Pourtant, il a encore tant d’histoires inédites à raconter, à écrire, tant de rencontres exceptionnelles à partager, tant de voyages à dévoiler, tant d’expériences à transmettre…

« Georges, un écrivain sur bois », dit de lui son ami Philippe Le Stum, docteur en estampes et directeur du musée breton à Quimper. À la fois artisan et artiste, Georges creuse dans le bois les épreuves du monde avec la conscience intime et solitaire du témoin privilégié.
"On me dit solitaire et il est possible que je le sois ; ce qui est sûr, c'est que plonger dans ce travail de gravure sur le thème de l’exode où chaque trait est un chemin, chaque silhouette un personnage, chaque nouvel ouvrage un voyage, exige une profonde solitude. Mais il est vrai que cette solitude, l’impression que j’ai d’être dans le secret, dans la clandestinité de la vie, ne sont pas pour me déplaire, car ainsi, je rejoins le destin de mes personnages. »
Georges Le Fur, L’autre en partage, Armor Magazine, 2010.

Georges vit à Lorient depuis 2002, et travaille dans son atelier rempli de souvenirs, d’histoires et de symboles qu’il exprime dans chacune de ses créations, gravure, estampe, tableau. À découvrir, absolument…

Contact :  georges.lefur@gmail.com