Interview du - Dominique Pontcallec, Louis Michau
La pandémie arrive, les salles de concert sont fermées, les cachets s’envolent, il crée le festival « MuzikoJardins » pour donner avec les artistes et toute l’équipe du Collectif Mosaïque, dont Morgane, son épouse, un air de fête à un quartier ou à une réunion familiale. Il est comme ça Jérémy, curieux de tout, jamais installé dans une zone de confort. Il y a tant de choses à découvrir. Rencontre…
Jérémy marche vers le lieu convenu du rendez-vous. Il est revêtu d’un gros sac pesant sur son dos, et l’on réalise que l’accordéon qu’il transporte fait corps avec lui.
Nous allons découvrir que son instrument est aussi un mode de vie, une respiration.
« J’ai appris à connaître et à apprivoiser l’instrument et la musique durant des années »
L’enfant du Pays de Lorient a passé son enfance entre Inzinzac-Lochrist, Hennebontet Languidic. Très tôt en « éveil musical », Jérémy aurait d’abord voulu apprendre la guitare puis la batterie, au conservatoire. Mais par manque de place, il débute l’initiation instrumentale à l’âge de 7 ans, sur l’accordéon de sa maman, seul instrument disponible. Serge Pavic, professeur de musique à Inzinzac-Lochrist, commence à lui enseigner l’accordéon classique, 15 minutes par semaine.
Dans cet apprentissage, Jérémy ressent intérieurement un lien quasi sacré avec l’instrument : la vibration, le souffle, la modulation, la sonorité envoûtante... L’attachement est là, avec l’envie d’explorer l’espace musical varié qui est enseigné.
À la suite du déménagement de ses parents, Jérémy change d’école et il est inscrit, à 14 ans, au conservatoire de Lorient ou l’enseignement de l’accordéon - plutôt rare - est au programme. C’est à partir de ce moment que débute le véritable parcours singulier de Jérémy.
Interprète de l’écrit rigoriste et de l’oral libérateur
Car, parallèlement à l’enseignement classique, il se produit déjà très régulièrement avec un groupe de musique bretonne qui donne de nombreux concerts publics. Jérémy accède à la pratique d’un apprentissage « passerelle » qui le façonne au fil du temps : un mélange d’enseignement rigoureux classique et de pratique de la scène populaire champêtre. Cette cohabitation variée et inhabituelle ne le quittera plus.
L’intransigeance de l’apprentissage classique se marie avec le plaisir partagé des expériences de scènes, il interprète à la fois l’écrit rigoriste et l’oral libérateur !
Jérémy poursuit dans cette double voie musicale jusqu’au bac. Il va côtoyer plusieurs artistes et apprendra de plusieurs d’entre eux : Roman Jbanov et Domi Emorine, duo emblématique de très haut niveau et enseignants au CNIMA, Centre National et International de la Musique et de l’Accordéon, situé en Auvergne.
À 18 ans, Jérémy rejoint cette école de réputation internationale. Il manie l’accordéon à raison de 8 heures par jour, pendant deux années pleines. L’école héberge les étudiants en immersion complète et il rencontre là-bas des musiciens internationaux avec qui il se sent proche. Dans la pratique effrénée de l’instrument, la technique est pleinement maîtrisée et le jeu n’a plus de secret. Jérémy va boucler son parcours d’études par l’obtention du prestigieux Diplôme d’Études Musicales, le DEM, qui reconnaît un très haut niveau de compétences.
« En matière d’enseignement et de pédagogie, je voyais là où on pouvait aller, et où on n’allait pas parce qu’on se mettait des barrières. »
Jérémy veut passer à la vie professionnelle avec un projet aussi ambitieux qu’audacieux : accompagner le mouvement pédagogique qui a évolué ces dernières années, en libérant l’apprentissage du « carcan classique » et sa forme de pression sur l’écrit rigoriste. Il veut diriger les études dans l’enseignement pour prendre toute sa part dans cet élan éducatif, s’autoriser des partages, de l’impro, sans se poser de question.
Dans cette ambition visionnaire et avant-gardiste, il va passer le DE, Diplôme d’état d’enseignant de la musique, puis le DUMI, Diplôme Universitaire du Musicien Intervenant, et postuler très jeune, à 24 ans, au poste de Directeur de l’École de Musique de Languidic. Le Maire lui témoigne sa confiance et l’engage, un pari sérieux pour lui à l’époque !
« Le plus important, c’est d’amener les élèves à se trouver plus souvent dans une posture d’artiste ! »
Avec les agents de l’école de Musique, il va développer des projets précurseurs qui rapprochent les habitants du mouvement musical plus libéré. « Dans nos villages », « Festival d’arts », « Randonnées musicales » et d’autres manifestations publiques font encore souvent partie de la vie de la commune. L’idée force est de se déplacer et d’aller chez les gens, d’investir les villages et de créer les scènes avec les habitants et les élèves en les incitant à engager la métamorphose, de spectateur auditeur vers artiste acteur.
On n’est plus dans l’écoute du respect d’une règle attendue, mais dans la création et la transformation de l’examen en spectacle. Il subsiste néanmoins dans la tête de Jérémy une interrogation et une préoccupation permanente : comment rester vigilant pour que ça ne devienne pas de l’animation trop éloignée de l’enseignement, et comment faire en sorte que la continuité de l’apprentissage soit préservée ?
Dans cette attention extrême, 6 éditions seront réalisées de 2012 à 2019, investissant jusqu’à 1000 artistes par édition dans des domaines multidisciplinaires : musique, danse, peinture, littérature. Une révolution pédagogique et une immense expérience collective enrichissante pour tous.
Le Manager de son parcours artistique
C’est en investissant ce parcours de grande coordination avec ses équipes créatives que Jérémy comprend qu’il est nécessaire d’acquérir les bases et les outils de la gestion de projets, indispensables pour créer le lien entre projet artistique et contraintes logistiques, administratives, techniques. « Il faut inventer et trouver de nouvelles expressions musicales, mais aussi trouver leur mode de financement ». L’attention complémentaire au jeu de l’instrument va être portée au volet « logistique et administratif » de ses actions.
« L’artiste produit une œuvre, mais sans soutien à sa diffusion et sans attention à son l’environnement, la représentation reste étriquée ». Jérémy comprend qu’il est vital de soutenir la diffusion, les structures, les associations. C’est un nouveau tournant.
Jérémy crée ainsi avec d’autres artistes du Pays de Lorient le collectif Mosaïque qui permet de soutenir les projets de création artistique professionnelle. L’association encore active apporte une aide artistique et logistique précieuse pour la réalisation des projets d’une trentaine d’artistes…
« J’ai toujours été passionné de coordonner des équipes, de mettre du lien entre les personnes »
Enfin, un artiste à plein temps… Et la pandémie !
En 2019, Jérémy décide de quitter la fonction publique et saisit l’opportunité d’être dans le statut d’artiste à plein temps. Toujours avec le souhait viscéral de partage musical, il continue de collaborer à un projet artistique, « Les Vrillés ». Le groupe de musiciens à caractère festif imprime un second album, grand succès, mais la route de l’aventure est très vite barrée par la pandémie, la programmation attend toujours des jours meilleurs…
Les spectacles donnés se situent souvent dans la diversité de l’expression sur les réseaux numériques : musiques du monde avec Ktêma, « Comme Un Souffle » avec Morgane, son épouse, professeur de français et musicienne accordéoniste, musiques sacrées recomposées avec Fabrice Lothodé dans le duo Nijadell, en trio avec Emmanuelle Brunat et Nicolas Kervazo dans le DUKKAH trio, en duo à la clarinette avec Rozenn le Trionnaire…
L’évolution du métier d’artiste
La diversité des compositions d’expression de la scène modèle la personnalité artistique de Jérémy. Il est sensible à cette recherche perpétuelle de son action qui réunit le public, la musique et les musiciens et place ce triptyque au centre de sa vie d’artiste. C’est une grande force qui permet l’accès aux magies du spectacle sans cesse renouvelé. Avec beaucoup de respect, de sincérité et de sensibilité, Jérémy s’adapte aux situations. « On est obligé en permanence de trouver des modes d’expression qui conviennent à tous. Je ne suis pas en souffrance, dans cette période délicate », lance-t-il, avant d’ajouter : « Mais trouver le financement aux projets artistiques est aujourd’hui devenu important pour la profession ».
Dans cet esprit de diversité, que nous prépare maintenant Jérémy ? Quel nouveau projet inédit va-t-il investir ? Avec qui ?
Artiste, c’est certain, son talent lui a valu les meilleurs diplômes, et Manageur aussi dans un monde plus compliqué, où les liens peuvent se faire ou se défaire en un instant, au gré des situations et des rencontres. Lanceur d’idées neuves, Jérémy est devenu en une dizaine d’années une personnalité qui compte dans ce Pays de Lorient en plein renouveau.
En tout cas, nous sommes là, en état de grâce avec seulement quelques notes de son instrument magique.
Là pour suivre, écouter et remercier…