Interview du -

La première rencontre avec Juliette Belleret remonte au dimanche 25 juin 2023. C’était à l’atelier d’Estienne tenu par Christian Mahé à Pont-Scorff, lors du vernissage de l’exposition intitulée « Dans les pas suspendus », dont Juliette était la commissaire. 
Je me souviens de ses interventions devant un public attentif, tout à l’écoute des explications détaillées sur les œuvres présentées. Dans son récit authentique et passionné, distribuant la parole aux neuf artistes invités, Juliette apparaissait immédiatement fragilement forte.

En visitant les créations exposées dans la galerie, on sentait le public captivé et impatient de découvrir la suite, concentré sur les commentaires éclairants évoquant leur histoire.  Sur certains murs, soigneusement accrochés à côté des œuvres artistiques, on pouvait découvrir des récits, des carnets de notes ou de poèmes écrits par Juliette qui apportaient une perspective littéraire complémentaire et plus artistique sur les créations exposées.

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© © Emma Jacolot

Exposition "Dans les pas suspendus,", galerie d'Estienne, Pont-Scorff 


Qui est donc Madame la Commissaire de l’exposition ?
Juliette Belleret est tout d’abord autrice. Elle amorce un parcours dans les lettres, avec une formation initiale littéraire et philosophique. Pourtant, ses centres d’intérêt sont « éclectiques ».
Elle obtient un baccalauréat scientifique à Marseille en 2016, puis entre en prépa littéraire dans la cité phocéenne. Elle entame ensuite une formation dans une école de management à Rouen, avant de s’orienter vers un master en Esthétique - Théorie de l’art à Montpellier en 2020.
Dans ce cheminement singulier et si diversifié, l’esthétique et l’harmonie ont rapidement revêtu une importance primordiale pour Juliette, qui a écrit depuis son plus jeune âge, encouragée par ses parents. Elle raconte à l’infini des récits d’écrivains célèbres à son jeune frère qui n’a plus de secrets sur les œuvres de Jules Vernes et de bien d’autres auteurs…
L'incroyable diversité de son parcours lui donne le goût de circuler d’un espace à un autre : espace social, espace de pensée et de travail. Ce débordement d'intérêt pour une pensée complexe ne la quittera plus.
Cependant, il demeure chez elle une attirance irrésistible pour la lecture et surtout pour l’écriture, confirmée au fil de ses études en littérature et philosophie et de ses premières expériences professionnelles.
À l’occasion d’un stage, elle découvre l’art contemporain, et prend plaisir à décrire la création dans ses premières compositions.

« Je porte un vif intérêt pour l’art qui s’est construit au fil de mon parcours, en particulier de mes expériences professionnelles artistiques. »

Elle collabore ainsi à différents projets avec plusieurs artistes du sud de la France, à Marseille. À Pont-Scorff, elle présente Emma Jacolot, Stéphane Guglielmet, Anna Coulet ou encore le plasticien Dylan Caruso à Saint-Étienne et Lyon.
À partir de la biennale de Lyon en 2022., un compagnonnage particulier est construit avec Nicolas Daubanes plasticien exposant. L’autrice et l’artiste nourrissent une sensibilité commune, une complicité qui converge vers l’émergence d’une réflexion sur l’activité humaine et la liberté individuelle.
D’ailleurs, c’est avec Nicolas qu’elle se rendra prochainement à Rome, Villa Médicis, pour accompagner l'artiste plasticien pensionnaire dans ses recherches, en 2024 – 2025.
C’est l’occasion pour Juliette de renouer un contact avec l’Italie après son voyage solitaire d’exploration, en 2022, dans lequel elle s’investit dans un protocole quotidien d’écriture et de photographie, à chaque étape. Ses textes évocateurs et poétiques feront prochainement l’objet d’une édition réalisée à quatre mains, avec la photographe Emma Jacolot. 

« Ce que j’arrive de mieux en mieux à formuler au fil de ces questions, c’est qu’évoluer et faire évoluer mon écriture au contact d’œuvres et d’artistes contemporains, c’est un compagnonnage de pensée et de sensibilité. »

 
Avec Nicolas Daubanes, le compagnonnage est nourri, depuis la biennale de Lyon, par des récits sur la question de l’accès aux espaces. Ceci donne lieu à un travail de publication de textes qui aboutira cette année :
  • un récit, au sein du projet d’édition monographique sur le travail de Nicolas Daubanes porté par le centre d’art La Maréchalerie à Versailles,
  • un texte analytique intitulé « Des états de corps partagés » au sein de la publication universitaire « Le passage au dessin : reprise, transfert, mise au point » sous la direction d’Anne Favier à l’ECLLA — Unité de recherches sur l’art à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. 

« Quand je rencontre des pratiques artistiques en tant que critique ou que je les invite en tant que commissaire d’exposition, ce sont les œuvres qui ouvrent des brèches, des pistes toutes entières dans mon écriture. C’est un répertoire de gestes, de sensations, de voix et de vies immensément riche que je n’aurais jamais atteint si j’avais choisi d’être écrivain en travaillant uniquement d’après mes recherches, seule chez moi. »

 
Évoluer « dans l’art contemporain », c’est pour Juliette une façon de dessiner un parcours avec une logique de projets multiples, une façon de traverser la vie en pouvant accéder, par l’écriture et la pensée, à des espaces inattendus et parfaitement différents : plongée dans le patrimoine de Pont-Scorff, immersion dans le service de soins intensifs d’un hôpital à Chambéry, exploration d’un mémorial avec de jeunes gens issus d’une Maison d’enfants à caractère social à Aix-en-Provence, rencontres de géants de tous horizons sur le lac gelé de Resia en Italie, en chemin du pavillon belge de la Biennale de Venise…
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Lac geléé Rezia, Italie  © Lola-Pertsowsky

 
Pour la jeune autrice de 24 ans, cette approche du travail et de la vie en général consiste résolument à sortir de l’entre-soi et se conformer à l’essence même de son écriture littéraire. Pour elle, l’espace du roman est un lieu constamment animé par des personnages, des lecteurs et des vies imaginés.

Dans cette lignée de pensée, Juliette projette de faire aboutir son projet en cours de construction « Reste jour », l’écriture d’un roman (*1) dont les multiples fragments sont produits au cours de résidences, de projets, d’expositions, et publiés au fil du temps dans divers médias.
Le magazine « Aléatoire » lui ouvre une rubrique publiée régulièrement, « Noyau caudé », qui accueille toute une série de ces fragments, construite sur le motif de la répétition, de l’habitude, de l’obsession.

Le RÉCIT esthétique

Un des grands talents de Juliette, c’est d’abord de faire et surtout de faire avec son entourage…
Avec une grande intuition, elle tente d’avancer dans ses réflexions en croisant les différents contextes : travail littéraire, travail critique, projets de commissariat…
Ainsi, écrire des récits pour accompagner les œuvres d’art contemporain a été un vrai choix de commissariat dans l’exposition « Dans les pas suspendus ». Poussée par le désir d’écrire en écoutant son instinct, elle enrichit la lecture des œuvres et permet de guider le public dans son parcours artistique. Et ça marche à merveille !
Dans un autre contexte, elle écrit un texte critique pour la Revue 02 à l’occasion de l’exposition des 10 ans du Frac Franche-Comté (*2)
Dans cette ligne, elle poursuit l’exploration avec son entourage artistique qu’elle pousse inexorablement vers la pensée esthétique, au gré des rencontres.

« Je réussis à formuler l’importance du récit dans la lecture des images et des œuvres contemporaines(*3). »

Elle poursuit :

« Côtoyer des artistes et des œuvres d’art contemporain m’aide à penser et à façonner ma pratique d’écriture autrement que l’image qu’on peut avoir de l’écrivain enfermé dans son bureau. C’est plutôt être en mouvement, en déplacement, au contact d’un art qui s’incarne, au contact d’espaces que je n’aurais jamais pu traverser autrement. »

 
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© Stephane Cuisset

Exposition "dans les pas suspendus", galerie d'Estiennes, Pont Scorff 

 

 

On vous l’a dit, Juliette, c’est du sérieux, du sensible, du solide… Elle exprime ses idées pour faire avancer ses causes littéraires et artistiques.

La recherche sur les traumatismes vicariants 

Son sujet de recherche en philosophie esthétique porte sur les traumas vicariants, un phénomène qui appartient au champ de la psychologie. Juliette y présente combien une personne peut être traversée jusque dans sa chair par un récit, une expérience qu’elle n’a pas vécue et qu’elle reçoit d’autrui.

Pour nourrir cette recherche, elle travaille depuis deux années avec des structures médicales, à Chambéry notamment et, espère-t-elle, bientôt dans d’autres établissements de santé du Pays de Lorient.

Le projet « Impatiences » vise, à travers l’écriture et le récit, à partager les traumatismes transmis par les patients aux soignants, par le biais de leurs expressions verbales ou non verbales.
Dans un temps de résidence d’écriture au sein des structures médicales, Juliette collecte et interprète les récits de la voix des patients et des soignants, pour former une seule et même histoire, d’un espace à l’autre.

La façon dont certaines blessures et souvenirs d’évènements peut s’inscrire dans la chair de personnes qui ne les ont ni vécues, ni portées génétiquement, invite à penser cet effet de « vicariance » dans la relation aux œuvres d’art, où des expériences sensibles sont soudain susceptibles de passer d’un corps à l’autre par le biais du langage, des gestes, des images. 

« Plus qu’un projet de recherche en esthétique, c’est un sujet qui me guide et fait fil rouge dans mes différents travaux de commissariat d’exposition et d’écriture. »

 

La création artistique littéraire en mouvement

D’origine bretonne, Juliette ne manque jamais une occasion de revenir au pays de Lorient, notamment  pour ses voyages professionnels, Pont-Scorff est son pied à terre. Depuis 2022, elle a multiplié les projets artistiques à l’atelier d’Estienne, mêlant récits, écrits et audios.

C’est dans ce contexte du commisariat de "l'Art chemin faisant" à Pont-Scorff en 2023 qu’a eu lieu la rencontre avec Fondalor qui prime le projet « Dans les pas suspendus ». L'exposition rencontre un réel succès.
L’invitation du chorégraphe Jean Soubirou avec l'accompagnement de Maëlle Robineau, professionnelle de la danse contemporaine, a permis d’intégrer un vrai temps de création au contact du site et des élèves de l’école Chagall à Pont-Scorff.

Juliette prépare actuellement une nouvelle édition et une exposition collective intitulée « Presque », centrée sur le thème du toucher, en résonance avec la biennale de Lyon.

L’exposition ouvrira ses portes le 19 septembre 2024 à la galerie Valérie Eymeric et à la librairie « l’œil cacodylate » jusqu’au 16 novembre 2024.

Un parcours prometteur

On le voit, Juliette trace son chemin artistique singulier avec passion, sensibilité et détermination.

Fondalor est heureux de soutenir ses projets et de l’accompagner, avec d’autres, dans la réalisation de ses rêves artistiques les plus chers.
Nous avons une foi inébranlable en son potentiel et sommes fiers de jouer un rôle modeste dans son remarquable parcours qui assurément, vous l’aurez compris, sera loin de s’arrêter ici…

 

Revue 2k2 texte manuscrit JB

 

 

 

(*1) Extraits : Fragment de texte du roman " Reste jour "

(*2) Article publié pour la Revue 02 : Texte critique

(*3) Dernier paragraphe de l’article publié pour la Revue 02 : 
« S’il est vrai qu’“il y a des images qui prennent la parole, et des images qui donnent la parole (M. J. Mondzain), alors c’est une prise de position forte, radicale, car souterraine, de la part du Frac Franche-Comté que de cultiver ces images (au sens large) qui ouvrent une liberté à qui les regarde et les partage : des œuvres, des expositions qui se donnent à la parole et à l’écriture du récit ou de la poésie — c’est-à-dire aux mots qui contiennent toujours, à leur insu, bien plus que ce qu’ils disent et que les visions qu’ils décrivent.”