Interview du -

LE LONG CHEMIN DE L'ACQUISITION DES SAVOIRS

Nicolas Bazoge a développé une affection particulière pour l’autodidactisme. Il y voit une vertu qui permet d’acquérir des connaissances précises et multiples au moment exact où il en ressent le besoin. Il affectionne l'apprentissage de la découverte et des chemins de traverse entre des choses qui semblaient à première vue sans rapport.

Nicolas n'adhère pas réellement à la notion de talent artistique inné. Il nourrit un sens constant de la recherche qui anime sa volonté d’orientation. Cela fait inévitablement de lui un être aux multiples facettes, pas toujours facile à appréhender. Les concepts sont alimentés par ses savoirs et son expérience de la vie.
« J’ai accumulé, durant l’enfance et jusqu’à l’adolescence, un bagage d’émotion, de sensations et de réflexions intérieures qui ont permis de développer une sensibilité, une manière de percevoir le monde et de vouloir le comprendre. Mon univers artistique s’est essentiellement construit à partir de ça, par l’autoformation, la persévérance et au gré des rencontres. »

Lorsqu’il occupe, en 2005, le poste de régisseur et éclairagiste au CDDB –Théâtre de Lorient – au cœur de la ville, Nicolas trouve de nombreuses opportunités d’ouverture au contact des artistes venus d’horizons et de pratiques très divers. Tous alimentent ses réflexions, bien au-delà des seules problématiques liées à la lumière et à la musique, domaines artistiques dominants dans lesquels il s’est investi jusqu’alors.

« Cette ouverture a été essentielle tout au long de mon parcours au CDDB et a contribué à renforcer mon intérêt pour la transversalité et l’art hybride. » 
Le mot est lâché !

En 2016, Nicolas ressent néanmoins le besoin d’acquérir un bagage théorique plus solide pour poursuivre sa quête artistique et ses objectifs professionnels. Il décide de suivre le Master Arts et Technologies Numériques à l’université de Rennes 2 qu’il obtient en 2018 ! Mais, c'est en endossant la posture d’autodidacte qu’il continue son chemin…

Une quête artistique immuable

Nicolas a grandi en milieu rural. Ses parents tenaient une exploitation agricole. La ferme familiale était installée au milieu de la campagne et constituée de grands bâtiments en pierre, une ancienne léproserie du XVIIe siècle.

« Avec du recul, cette vie à la ferme fut un terrain d’exploration, de créativité et de liberté assez incroyable durant toute mon enfance ! »

Malgré un accès à l’univers culturel limité, en particulier au spectacle vivant, Nicolas développe dès l’adolescence une fibre artistique singulière à travers l'écoute, la pratique musicale et l’écriture. Regardez plutôt…

Encouragé par son frère, bassiste dans un groupe Hard Rock, il se met à la guitare électrique. Un autre de ses frères écoutait des groupes pop et synthétique comme Depeche Mode, Genesis, Jean-Michel Jarre, tandis que sa sœur aînée appréciait plutôt la chanson Folk et les musiques acoustiques. Grâce à l’un de ses beaux-frères, Nicolas découvre l'univers sombre de la Cold Wave, avec des groupes tels que Joy Division, New Order et Trisomie 21, et quelques années plus tard, Placebo, qui deviendra le groupe phare de son adolescence. Un socle musical inédit et diversifié !

« Toutes ces influences ont forgé ma culture musicale. J’étais attiré par les mélodies simples, les structures complexes, et le mélange de timbres acoustiques et électroniques. C’est avec un groupe comme Radiohead que j’ai pu trouver ce côté à la fois profond, pop / expérimental et organique / électronique qui a influencé, avec Placebo, ma base musicale ».

Déjà, ce qu’il aimait le plus à cette époque, c'était écrire et composer à l’aide de sa guitare et de son synthétiseur équipé d’une boite à rythmes.

Au début des années 2000, lorsque les ordinateurs personnels et Internet se sont démocratisés, Nicolas a immédiatement vu en eux des outils compagnons avec lesquels il pouvait s'engager dans une quête d'expression avec une quasi totale autonomie.

Dès lors, en véritable autodidacte, il va progressivement explorer à travers des tutoriels et des vidéos, le mixage et la MAO, musique assistée par ordinateur.
« Finalement, je n’ai jamais vraiment fait de distinction entre pratique et apprentissage. L’un nourrissant l’autre, et vice versa. » 

Le parcours d’exploration créative des technologies numériques dans le spectacle vivant

Originaire de Bourbon l'Archambault et titulaire d’un DUT en Génie électrique et Informatique industrielle obtenu à Montluçon, Nicolas commence sa vie active dans l’industrie. Il bifurque dans le milieu du spectacle vivant lors de son service militaire civil au centre Athanor, une salle de spectacle de Montluçon et y fait la connaissance de Christophe, un collègue féru d’informatique qui assemble lui-même ses propres ordinateurs et joue de la musique à ses heures perdues.

Ensemble, ils font des prises de son, des photos, des vidéos, enregistrent des parties guitares et de chant. Ils triturent ensuite toutes ces matières numériques sur ordinateur, sans aucune autre ambition que le plaisir de la découverte et de l'expérimentation.

« C’était une période formidable. Christophe m’a initié à l’informatique et m’en a révélé l’immense potentiel créatif. En échange, je lui apportais ma sensibilité artistique ainsi que des idées concrètes de création. »

En quête incessante de recherche, Nicolas décide alors de suivre une formation certifiante de régisseur à l'ISTS d’Avignon, l’Institut Supérieur des Techniques du Spectacle, où il se forme aux techniques son et lumière.

Son fort attrait pour l'océan et la Bretagne, où il passait régulièrement ses vacances avec ses sœurs dans l'enfance, le conduit à rechercher un emploi dans le domaine de la création, « quelque part entre Saint-Malo et Bordeaux. »

C’est ainsi qu’en 2005, il intègre le CDDB à Lorient comme régisseur lumière. Il y travaille pendant 12 ans sous la direction d'Éric Vigner, dans des spectacles d’horizons très variés. À côté de la technique qu’il met en pratique, la diversité et la richesse des collaborations artistiques font grandir chez Nicolas une exigence croissante de création multiforme, dans laquelle plusieurs moyens d’expression interagissent : son, lumière, mouvement. 
Cet intérêt marqué pour l’art hybride ne le quittera plus… 
« Ma recherche artistique s'articule autour de l'utilisation créative des technologies numériques, particulièrement dans le spectacle vivant. »

Promouvoir les arts hybrides et la culture numérique

Hormis quelques rares structures qui prennent le risquent de les soutenir, les arts hybrides et la culture numérique peinent à trouver leur place, non seulement dans le paysage culturel breton, mais encore sur le plan national.

« Je souhaite pouvoir développer ces nouvelles formes de créations, à ma manière, notamment au sein du réseau national HACNUM (*1) dont je suis membre et auquel je participe. »

Au pays de Lorient, Nicolas va à la rencontre des acteurs du territoire, notamment à travers l’association EGZOA qu’il a créée en 2019. L'asso vise à élargir la connaissance et l'usage des outils numériques dans le milieu artistique, musical et poétique. Par la recherche et l’expérimentation, elle promeut l'intégration et l'interdisciplinarité des arts, et les liens entre l'art, la science et la technologie.

 « Cette porosité, ce dialogue entre l’objet, le son, la lumière, l’espace et le mouvement est une sensation que je souhaite encore explorer. »

Les frontières de l'expression artistique à travers l'interaction de différents médiums deviennent de plus en plus poreuses, et le résultat est bluffant !

Collaboration artistique dans l'Art hybride

Nicolas cherche à présent à poursuivre son cheminement en collaborant avec d'autres artistes ou compagnies d’envergure qui partagent les mêmes recherches, les mêmes questionnements.

En tant qu'expert reconnu en hybridation et en arts technologiques, il souhaite mettre à profit son expérience et ses connaissances en aidant d'autres artistes ou compagnies qui veulent se lancer dans l’aventure culturelle hybride et numérique.

En 2019, Nicolas crée l’association EGZOA pour lancer la création, la promotion et la diffusion de ses projets artistiques et poursuivre le projet NOLASKEY, né dans les années 2005.

Aller là où l’on se trouve…

« En 2005, lorsque je suis arrivé à Lorient, j'ignorais vraiment combien de temps j’allais rester. Voilà maintenant dix-huit ans que je vis ici, et je m’y sens toujours bien. Lorient est une ville dans laquelle je me retrouve, à taille humaine, en devenir, chargée de son histoire et tournée vers l’avenir. »

Pour Nicolas, Lorient est une ville qu’il faut connaître au gré des rencontres avec ses habitants, aux détours de ses murs bétonnés, de ses lieux patrimoniaux emblématiques et de ceux moins connus qu’on voit seulement si une personne nous les montre.

La quête artistique de Nicolas et le désir de connaissance sont, à présent, intimement liés au voyage, notamment à celui qui l’a amené en Bretagne pour le poste de régisseur lumière au CDDB de Lorient. 

"La connaissance véritable ne se contente pas de capturer des fragments de réalité, elle vise à saisir les interrelations, les liens invisibles qui unissent les choses." 
Gageons que cette autre pensée d’Edgar Morin viendra encore longtemps façonner l’expression artistique de Nicolas, pour notre plus grande satisfaction !

(*1)  HACNUM est une association loi 1901 dont l’objet est de structurer, organiser et développer les écosystèmes des arts hybrides et des cultures numériques en France.

Nicolas Bazoge a été « candidat remarqué » à l'appel à projet de la saison 2 de Fondalor, dans lequel il a présenté sa performance d'art hybride,  « Spectral _ink », où son et lumière s'entremêlent… 

Regardez !  Ecoutez !  Vibrez !     Spectral _ink